11/12/2019
Y'a plus qu'à rouler des mécaniques
Jusqu’à maintenant, lorsqu’on posait à quelqu’un l’habituelle question : « comment ça va » ? si pour lui tout allait bien, il répondait : « ça roule », sans chercher à s’interroger sur l’origine de cette expression.
Aujourd’hui, on sait : quand les trains de la SNCF ou de la RATP cessent de rouler, c’est que ça ne va pas du tout, dans une ambiance de kms de pavés battus, de vitrines cassées, de nuages lacrymogènes.
L’expression ne se pratique qu’à l’affirmative, mais on devrait dire en ce moment : ça ne roule plus du tout. Les autos, d’habitude si alertes, empéguées dans de gros embouteillages, ne roulent pas non plus.
Ceux qui roulent plus que jamais, ce sont les vélos qui s’étaient approprié le mot depuis longtemps. Ainsi on a pu entendre dans les pelotons : « avec ce printemps pourri, je n’ai roulé cette année que 8000 kms » ou alors : « pour revenir de Sisteron, j’ai roulé 80 kms le vent dans le nez ». Par contre, quand ça va bien, à vélo on ne dit pas : « ça roule » mais « c’était O.K » ou « ça biche ». (mes collègues cyclistes ont gardé un langage un peu daté )
En fait, comme on vient de le voir, les cyclistes ne sont pas exempts de galères. Mécaniques, où le groupe manifeste aussitôt soutien et compétence pour dépanner le malheureux tout en enrichissant le savoir technique de chacun. Davantage liés à l’âge qu’au vélo, galères physiques aussi. Entre le canal carpien, les ligaments croisés internes, à défaut de réparation réussie, du moins chacun enrichit aussi son dictionnaire médical.
Quand la pratique du vélo n’est plus obligée, pour aller au travail notamment, reste-t-il des parts d’esprit disponibles pour les préoccupations du moment, la retraite par exemple ? Sans doute un peu, mais pour une bonne partie du groupe, au boulot comme apprentis à 15/16 ans dans notre bassin de grosse mécanique, ils estiment que leur retraite, ils ne l’ont pas volée. Même si son niveau n’ouvre pas des horizons fantastiques. Et ce n’est pas cet ancien conducteur de TGV, content de son sort passé et présent, affichant 15 à 20 ans de moins que l’âge moyen du groupe, qui va les aider à soulever des bouffées d’empathie vis-à-vis des cheminots d’aujourd’hui.
Leurs préoccupations partagées par tout le monde vont vraiment en direction des jeunes générations et tout particulièrement vis-à-vis du travail. Mais avant de penser retraite, la question du jour est plutôt : « quand mon petit-fils ou ma petite-fille va-t-il décrocher son 1er CDI » !
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27/11/2019
Des lendemains qui chantent ?
Vous avez forcément remarqué que nous vivons dans une atmosphère lourde, emprunte de pessimisme. Et s’imaginer devisant sereinement avec des amis à l’ombre d’un grand chêne relève du rêve, quasiment de l’utopie. On dirait que beaucoup de gens sont mal avec eux-mêmes, donc avec les autres, et se soulagent en balançant, notamment sur les réseaux sociaux, mais pas que, des paquets d’invectives peu civiles à propos de tout.
Essayons de suivre la dégringolade vers cette mouise d’aujourd’hui. Sans remonter à l’époque de l’amour courtois, ni même au Code des bonnes manières de Berthe Bernage, jusqu’à la fin du siècle dernier, on savait se tenir. Dans celui-ci, on a lâché la bonde. On dit n’importe quoi, on invective, on insulte. Pas qu’en mots, aussi avec des actes violents. A Marseille et dans la plupart des concentrations, on s’est affranchi des règles du « milieu », on tue pour un regard, pour un joint.
Nos élites, fatiguées peut-être d’avoir maintenu malgré tout ces bonnes manières maintenant décriées, participent à la débandade. Dans un débat à la radio ou à la télé, les gros mots, comme eut dit Audiard, volent en escadrilles. Quand on pense que même Brassens le coquin avait encore des pudeurs pour évoquer « ce petit vocable » qu’on balance aujourd’hui à pleines pages et pleines ondes.
Les bouffons politiques vont à la curée en paroles et en actions. Bolsonaro assume cyniquement de sacrifier la foret amazonienne. Après d’autres exactions, Erdogan s’assied sur les lois de la guerre. Bien qu’elle ait largement démontré un manque absolu de stature présidentielle, Marine Le Pen voit sa cote monter qu’elle alimente de ses propos populaciers.
Plus smoothy papy que jamais, devrais-je patauger dans ce marécage ? Quelques espoirs cependant. Trump venu soutenir son candidat dans le Kentucky, à coup de propos douteux et prétentieux, voit celui-ci battu par le démocrate. C’est Eric Zeimmour viré petit à petit des différents medias d’où il distribuait son racisme. En plus positif, par exemple, la Compagnie « Les 7 doigts de la main » en combinant des figures acrobatiques par des corps quasi élastiques, avec humour, diffuse une bienveillance souriante.
De bons réflexes citoyens qu’il faut saluer et consolider. Pour cela on peut encore compter sur nos enseignants toujours fermes dans leurs missions malgré des élèves de plus en plus mal élevés. En outre, sans impulsion particulière des élites, chacun trace un chemin vers du mieux-vivre. On achète à l’AMAP plutôt qu’au Supermarché, on laisse sa voiture et on prend son vélo. On préfère prendre le train plus cher et plus lent que l’avion.
De bons réflexes qui peuvent probablement conduire à un meilleur respect des choses et des gens. Pourquoi, à cette aune, ne serait-il pas possible que je me retrouve au printemps, assis à l’ombre de mon arbre, à deviser, paisible, d’ un avenir plus radieux ?
09:03 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)
13/11/2019
"Le style est le vêtement de la pensée" (Sénèque)
Pour illustrer le thème de ce jour, je vais raconter une histoire de ma très lointaine scolarité. Nous avions en 1ère un prof de français-latin-grec. Il estimait que la traduction correcte d’une version ne méritait que 10/20. Les points au-dessus étaient octroyés en fonction de la qualité du rendu en français. Il expliquait ce goût pour le beau style en estimant que le fond est plus pertinent s’il est coulé dans une belle forme.
Comme une contre preuve, il est évident que le baragouin fait de franglais, de formules de texto est bon pour la bouillabaisse des réseaux sociaux et, bien sûr, réservé à ces initiés qui arrivent à le comprendre. Mais ce n’est pas tellement mieux de vouloir faire savant. Quand un ministre prétend que grâce au crowdfundig l’emploi va mieux, il n’est pas près de convaincre un gilet-jaune !
Le beau style n’est pas fait d’afféteries ou de fioritures plus ou moins brillantes. De simples mots choisis et mis dans une phrase que tout le monde comprend et retient sans peine. De la même façon qu’on a fixé irrévocablement Charles Martel en 732, on ne peut pas oublier non plus : « un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence » de Lamartine ou mieux encore du père Hugo : « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».
Une fois qu’on est clair Il n’est pas interdit de glisser, comme des aromates de la langue une paire de mots qui bousculent un peu la logique : ainsi le célèbre vers de Corneille : « cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Ou dans une récente interview, Finkelkraut réussit à faire d’un échec une assertion assumée quand il dit : « j’ai magistralement raté la rue d’Ulm ». Ces élégances, cette sorte de politesse de la langue, signent une véritable tenue.
Quand une personne, au jean déchiré et le haut à l’avenant, après une lettre criblée de fautes d’orthographe et de grammaire, au nom de « ils n’ont qu’à me prendre comme je suis » ne franchit pas le seuil de l’emploi, c’est sûrement rétrograde, mais je ne suis pas vraiment étonné.
Le vêtement contribue au style. Reprenons Sénèque : si le style peut habiller la pensée, cela signifie qu’il faut aussi qu’il y ait une pensée.
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