30/12/2020
Annus horribilis
Certains se souviennent que la Reine d’Angleterre, dont le palais avait brulé cette année-là, avait qualifié 1992 d’ « annus horribilis ». Notre 1er ministre n’a pas qualifié 2020, mais il en pense pas moins. En effet, extirpé de sa lointaine campagne pour faire le lien, aidé de son accent très terroir, entre les contrées rurales et le pouvoir central, il a surtout géré le virus. Avec le malus d’être toujours celui qui devait annoncer un tour de vis supplémentaire.
On me dira qu’il a un peu cherché cette avanie et que c’est dans les tempêtes qu’on reconnait les capitaines. Moi par contre, qui n’ai rien cherché du tout, vautré dans une retraite à priori déliée de tous soucis, c’est le virus qui m’a géré ! Le vendredi soir, on prépare le C-car pour un départ vers le sud 10 fois reporté. Le samedi matin, c’est confinement total : restez à la maison et laissez votre camion à quai !
Terminés le crapahutage en montagne, les visites aux enfants et à leurs descendants. Profitant d’un des rares privilèges du grand âge, ce sont ceux-ci qui ont bravé les ukases pour nous visiter, au risque d’une amende. Taxés pour voir ses parents, voilà un virus qui paye !
Déjà en activité réduite, ma vie de retraité a loupé les petits mouvements qui la réveillent. J’en étais réduit à seulement imaginertra, penché sur le programme des sorties-vélo du club, les doses d’endorphines glanées sous le soleil parmi les champs de noyers. Quand je suis privé de ce plein-air, il me reste habituellement la salle de sport toute proche. Fermée par le virus, mes quadriceps sont en train de virer quadrimous.
Un triste bilan qui complète les ennuis : le décès de 4 de mes copains de classe cette année. Cela me rappelle que la météo de mon parcours de vie est entrée dans une zone de turbulences, et souligne 2 évidences. En 1er lieu, l’ardeur des dernières décennies s’est sérieusement émoussée. Mon vélo me le rappelle régulièrement : de plus en plus souvent je dois ajouter 1 ou 2 dents aux couronnes de ma roue libre pour pouvoir reprendre mes chemins préférés.
D’autre part, pour les semaines et les mois qui sont encore devant nous, il sera bon de consommer sans modération, les raids au soleil (ou à la pluie), les riches rencontres avec les vrais gens. Et se préparer dès 2021 de quoi signer une « annus delectabilis »
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16/12/2020
L'obstination est le parent pauvre de le volonté
Nous savons depuis des décennies que notre société sécrète diverses maladies, individualisme, violence, cupidité, intolérance. La pandémie a évidemment exacerbé ces défauts. Mais celui qui tient la corde, c’est la rigidité, l’aveuglement, l’obstination à tenir son cap personnel sans aucun égard pour les autres.
Une démonstration s’en fait couramment : 3 jeunettes, en pleine discussion, viennent à ma rencontre sur le trottoir. Trop prises par le débat, lestées d’un smartphone, leur bloc ne saurait se séparer et c’est donc papy qui hérite du goudron.
Un « spécial-Covid » met en scène un de ceux qu’on traite de psycho-rigide. Fort de la croix dans la case 6 de l’attestation pour une heure, (dans les règles antérieures) qui l’autorise à emmener Médor polluer nos pelouses, il tire obstinément sur la laisse. Il ne veut pas perdre les dernières minutes autorisées, quitte à ce que Médor, pas athlète de haut-niveau pour un sou, crie grâce. Quand on nous donne un droit, il faut le prendre jusqu’au bout !
Sur un autre trottoir, un moufflet, de 5 ans au plus, pousse son ballon au pied assez librement. Evidemment, une poussée plus forte emmène le ballon sur la route, pile sous la voiture qui arrivait. Le « futur Mozart » ou le « futur Einstein », ( j’ai pas pu lire dans le cerveau de la mère) tente sans succès de récupérer son jouet sous la voiture arrêtée. Et la mère d’agonir d’injures le pauvre conducteur, la cause de la récréation interrompue du futur génie.
Donnez un zeste de pouvoir à une petite autorité, retranchée derrière son Plexiglas (déjà avant le Covid). Elle ne manquera pas de le faire sentir par un renvoi, un refus. Tout citoyen, éconduit pour une virgule oubliée, trouvera de quoi signifier à cette occasion qu’il est un peu là. Même si, à camper chacun dans son « Fort-Knox », front buté, mâchoire serrée, on se fait aujourd’hui, comme aux Etats-Unis, deux moitiés de France irréconciliables.
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02/12/2020
Il y a héros et héros
L’Argentine nous avait donné un pape. Voici qu’elle nous donne un Dieu. J’arrive, en me forçant un peu, à comprendre une admiration exceptionnelle pour un joueur à l’adresse et la « vista » incomparables, mais déifier Maradona me parait un peu fort. Auréolé en outre de toutes les dévotions déviantes des fidèles : prières à genoux, baiser des reliques.
Les images qui célébraient l’artiste se résumaient à la fameuse main qui marquait le but contre l’Angleterre. C’est donc un tricheur qu’on déifie, pour ne pas parler de liens avec la Camorra, que les napolitains préfèrent oublier au profit des seuls exploits sur le terrain. Faut-il que l’Argentine soit à ce point dépourvu de héros pour décréter, pour ce décès, 3 jours de deuil national ?
Un qui n’a pas connu les honneurs, que je vois néanmoins en héros, c’est mon ami Henri parti à ce moment-là. Numéro 5 sur 11 enfants, d’une famille de petits cultivateurs, il connait très vite la disette. Aussi, lorsqu’à 10 ans un oncle se propose de le prendre comme berger loin de chez lui, il lui faut accepter, même si l’ambiance à la ferme, ni l’éloignement ne le réjouissent.
Dans un tel contexte, ses parents et le curé ayant « combiné », ainsi qu’il le rappelle, son entrée au séminaire, il acceptera aussi. Du moins, dira-il aussi, passer d’une maitresse de 44 élèves de tous les niveaux à un enseignement classique de 6ème est le « Pérou » de l’éducation. Et le petit paysan découvre qu’ « il n’est pas si bête » !
Le grand séminaire qui suit, avec son cortège de restrictions diverses (le vélo est interdit !!), ne prépare guère des adultes, moins encore des prêtres adultes. Ce qui se chargera de ce travail, c’est l’Algérie qui vient ensuite. Henri arrive dans la zone des lourds combats et découvre à la fois l’inhumanité et la forte solidarité des appelés. Il en a besoin car il perd dans une embuscade 2 copains et pour lui quasi l’audition.
Le retour en tant que prêtre en paroisse procure quelques vicissitudes vécues avec sérénité. Mais un bon « job » à la Cathédrale de Saint-Claude. Il est à l’aise parmi ce peuple et ce monde d’ouvriers. Ce qui le fera réagir avec ses collègues lorsque la Mairie restreint l’entrée de la piscine aux algériens. La télé accourt interviewer ces « gauchistes, ce qui lui plait moyennement, et moins encore à son évêque. Autre passe d’armes avec ce drôle de patron : quand celui-ci vend le bâtiment où habite Henri sans l’en avertir !
C’est l’actualité qui a rassemblé ces 2 décès. Je ne précise pas lequel des 2 a toute ma sympathie. Pas seulement parce qu’Henri est un ami. Aussi parce que pour nous tous, ses copains, il a tracé un chemin quasi sans faute. Au- dessus des bassesses collectionnées, pleinement disponible aux autres, et pas seulement ses paroissiens. Par exemple, il se retrouve chauffeur de bus à Saint-Claude pour le ramassage scolaire quand il n’y en a plus. Il était fait du bois dont on fait ceux que j’appelais récemment les héros du quotidien !
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